Aménagement cyclable

Edit:20 oct. 2021, Cre:15 sept. 2019

Itinéraires cyclables et nomenclature

La législation

En France, la loi sur l’air (LAURE) de 1996 fait obligation aux collectivités à créer des itinéraires cyclables sur les voies rénovées ou neuves en zone urbaine. Outre le fait que beaucoup de collectivités ont développées des stratégies pour éviter d’appliquer la loi et qu’aller en justice est souvent nécessaire (voir cet article de la FUB), celle-ci pose des problèmes divers:
Le premier est une simple question de définition: Qu’est-ce qu’un ‘itinéraire’. Le dictionnaire dit que c’est un chemin à suivre pour aller d’un lieu à un autre, ce que tout le monde peut comprendre et approuver.
On trouve en France des itinéraires cyclables à vocation touristique mais pratiquement aucun itinéraire à vocation de transport.
Mais telle qu’il semble défini dans la loi sur l’air, un itinéraire urbain va du début d’une voie à la fin de celle-ci. C’est plus que limité.
C’est pourquoi en France on trouve des voies cyclables totalement dispersées sans aucune espèce de continuité, des pistes qui n’ont ni entrée, ni sortie, des segments infranchissables, des carrefours non aménagés. Quand on consulte la carte des aménagements cyclables d’une ville française, on n’y voit pratiquement aucune logique. C’est normal: il n’y en a pas puisque les aménagements ont été réalisés au fil des rénovations. Ceci rend les aménagements peu utilisables et parfois peu utilisés.
Par ailleurs les voies ne sont pas toujours aisément cyclables parce qu’elle n’ont pas la largeur recommandée, parce que les intersections ne sont pas aménagées, parce qu’il y a des seuils, des chicanes et d’une manière générale de gros problèmes de qualité. Il est facile de comprendre que ces aménagements n’étant réalisés parce que contraints par la loi, la qualité n’est pas le premier souci des donneurs d’ordre.

La base

Il est plus que temps de revenir à la définition:

  • Un itinéraire est un chemin pour aller d’un lieu à un autre.

Pour cela il faut définir des objectifs en fonction du trafic potentiel et des points de regroupement des cyclistes, typiquement les gares, les centres-villes, les quartiers, les zones d’activité, les zones commerciales.
On doit faire des cheminements pour lier ces différents points. C’est comme cela qu’on crée des lignes de transport en commun, pourquoi cela serait-il différent pour des itinéraires cyclables?
Cependant les itinéraires cyclables ont des exigences assez différentes des itinéraires de bus, de train ou de métro. Le vélo est plus flexible, il peut prendre des virages serrés mais il y a des contraintes très importantes pratiquement toujours négligées:

  • Un cycliste n’aime pas s’arrêter car se relancer nécessite beaucoup d’énergie.
  • Un cycliste n’aime pas monter, aussi les itinéraires doivent éviter les dénivelées quand c’est possible

Il y a aussi une question de confort: Les axes principaux sont très désagréables à cause du bruit et de la pollution de l’air. Aussi un cycliste acceptera facilement une modeste (c’est important!) augmentation de parcours si celui-ci est en dehors des axes principaux. Et il n’aura plus d’hésitation si cela permet d’éviter des feux.

L’organisation administrative Française

Mais c’est là que le système administratif français pose problème. Sur une commune, les différentes voies sont gérées par des collectivités différentes suivant leur statut. Certaines voies sont gérées au niveau communal, d’autres au niveau départemental, voire national.
Un itinéraire vélo bien conçu va utiliser les voies départementales ou nationales quand il n’y a pas d’autres options, mais dévier sur des voies communales dès qu’il en a l’opportunité. Ceci n’est pas forcément plus cher, parfois moins. Il peut être beaucoup plus simple d’aménager un parcours cyclable sur une voie parallèle à l’axe principal que sur l’axe principal lui-même.

Revoir la philosophie

Mais pour qu’un tel système fonctionne, il faut changer totalement de philosophie:
Il ne faut pas faire des itinéraires vélos au fil des rénovations, ce qui crée un patchwork incohérent, il faut créer des itinéraires vélos avec des objectifs de délai, définir et allouer un budget et attribuer la responsabilité à une seule collectivité qui aura en charge la responsabilité globale quel que soit le statut des voies utilisées par l’itinéraire.
Ceci impose un changement fondamental des mentalités et de la législation pour que les itinéraires vélos deviennent un objectif et pas un à-coté des rénovations de voirie réalisé à contre-cœur par des municipalités hostiles et des aménageurs incompétents. Ceci implique aussi la création de structures de certification et de contrôle de ces aménagements cyclables pour enfin obtenir un travail décent.

Ne pas oublier les intersections

Lorsque l’on définit un itinéraire, celui-ci comprend donc des intersections, qui doivent faire partie des réalisations car les aménagements aux carrefours sont un problème majeur en France. Par ailleurs, il doit être fait obligation qu’un itinéraire cyclable ait une entrée et une sortie en toute sécurité (ce qui veut dire une voie de jonction entre la voie cyclable et la chaussée principale avec fusion progressive, pas une ‘évaporation’ de la piste cyclable comme on en voit beaucoup ou un départ au milieu d’un trottoir sans même une surbaisse d’entrée, ce qui rend la piste totalement inutilisable).

Des exemples

Deux exemples d’itinéraires urbains créés par des associations vélo. Ce sont des itinéraires non officiels, il n’y a donc aucune numérotation et certains passages peuvent être délicats (sur les ponts notamment, problème récurrent) mais les liaisons sont des axes majeurs:

Le tourisme

Et les itinéraires de tourisme ?
Il existe des itinéraires baptisées les véloroutes et on trouve aussi des itinéraires de plus de 1000 km traversant plusieurs pays baptisés les Eurovélos

Que faut-il faire ?

Un état des lieux

Avant tout, il faut d’abord faire un état des lieux, pour savoir ce dont nous disposons actuellement.
Il faut qualifier le réseau cyclable actuel:

  • La qualité des segments de piste, leur largeur, le balisage, la séparation, la surface, les chicanages, la visibilité, la priorité.
  • Comment sont fait les franchissements des obstacles naturels ou artificiels (cours d’eau, voies ferrées, autoroutes, etc.)
  • Les aménagements aux carrefours, particulièrement négligés en France (le sas cyclable n’est pas la réponse à tout, c’est un pis aller), les feux dédiés, le balisage sol de continuité, la protection physique (îlots), les équipements de ralentissement du trafic motorisé.
  • La continuité, est-ce qu’il y a des segments jointifs, y a t’il des entrées et des sorties de piste
  • La pertinence de l’aménagement, est-ce que les voies les plus utilisées sont aménagées, est-ce que les segments cyclables aménagés sont fréquentés, peut-on joindre les points principaux (gares, centre-ville, lycées, écoles, centres administratifs, centres commerciaux, zone d’activités)

Définir les zones que l’on veut joindre

Un itinéraire va d’une zone à une autre, plutôt que d’un point à un autre. Il faut définir les zones ou les gens se rendent le plus fréquemment. Idéalement, si ce sont des zones fréquentées, elles devraient déjà être des ‘zone 30’ voire des ‘zones 20’. C’est souvent le cas dans les centre-ville, mais c’est beaucoup plus rare ailleurs. En particulier les abords de gare sont souvent dangereux et très rarement définis comme des ‘zones 30’.

Définir les routes de jonction

En zone urbaine, une partie du trafic ne fait que traverser certaines zones sans s’y arrêter, et très souvent ces axes principaux n’ont aucun aménagement cyclable car le trafic motorisé est considéré comme prioritaire. Les traversées sont aussi un élément important.

Définir les itinéraires en donnant des priorités

Une fois qu’on a défini les zones ou les gens se rendent le plus souvent, il faut définir la manière dont ont les joints, en évaluant les trafics les plus prioritaires, de façon à commencer à réaliser ce qui est le plus important.

Définir des échéances

Il faut fixer des dates, sinon les travaux sont toujours reportés à plus tard. La loi LAURE était une loi opportuniste qui voulait créer des aménagements cyclables comme des ‘à-cotés’ d’autres aménagements, en négligeant totalement la cohérence du réseau. Il faut revenir à la notion de planification en définissant des objectifs et des priorités avec des dates de réalisation.

Faire de l’ingénierie

Une fois qu’on a défini des objectifs et qu’on a fixé des dates, on fait de l’ingénierie ‘normale’:

  • On définit un budget nécessaire pour respecter les objectifs, pas le contraire.
  • On fait un planning de détails
  • On décide qui pilote le projet
  • On alloue des ressources pour faire le travail

La mise en place

Pour pouvoir faire ça, il va falloir s’organiser un peu mieux qu’aujourd’hui.

La législation

La loi LAURE est une loi qui se voulait opportuniste, en imposant des voies cyclables à l’occasion de la réalisation de travaux. Depuis vingt ans, ceci a prouvé être totalement inefficace, voire nuisible, car les aménagements ne sont que rarement là ou on en a besoin. Il faut reprendre le problème à la base et définir des objectifs fonctionnels en oubliant le quantitatif.

Le budget

Il faut définir un budget sensé. Beaucoup objecterons que les aménagements cyclables coûtent cher. Ce n’est pas gratuit, mais un aménagement cyclable décent ne coûte que quelques pour cent de l’aménagement routier global. Mais certainement un peu plus que 65 centimes par Français et par an… Il est aussi important de rappeler que les études montrent qu’un euro investi dans les infrastructures cyclables en rapporte 5 ou 6, que ce soit des gains sanitaires directs (pour les cyclistes) ou indirects (par diminution de la pollution), la revitalisation des commerces de centre-ville et d’autres bénéfices sociaux. L’un des problèmes est la répartition de ce budget, qui doit payer? les communes, les départements, l’état?

Un pilote

Les aménagements cyclables ne suivant pas nécessairement les mêmes voies que les aménagements motorisés, il y a automatiquement intervention de plusieurs niveaux de responsabilités administratives. Il faut définir une seule administration responsable, en lui donnant un pouvoir de coercition et de délégation. Si un itinéraire à l’intérieur d’une commune n’utilise que des voies communales, sa réalisation pourra être déléguée à la commune, mais le cas devrait être peu fréquent. La direction de projet sera donc plus probablement à un niveau administratif plus élevé. Il est indispensable que le pilote ait des moyens de pression afin d’obliger tous les intervenants à exécuter la part qui leur revient.

Des standards obligatoires

Les règles de construction françaises des aménagements cyclables sont actuellement assez limitées. Il faut écrire un code décent de réalisation des aménagement cyclable qui n’ai pas comme seule ambition de minimiser les coûts mais d’optimiser l’efficacité de la circulation cyclable en toute sécurité. De plus, la majorité des documents émis ne sont que des recommandations non obligatoires. Aussi leur respect est-il marginal. Comment espérer le respect de normes en comptant sur la bonne volonté d’organisations qui ont prouvé qu’elles étaient de très mauvaise volonté? Utiliser la coercition n’est certes pas un bon moyen de concevoir les infrastructures dans un esprit de collaboration mais en l’état actuel des choses, il n’y a souvent pas d’autre solution.

Construire des compétences

En France, les aménagements cyclables sont réalisés pour obéir à la loi LAURE et les gens qui les réalisent le font avec ‘le fusil dans le dos’. Il faut enfin apprendre comment faire de bonnes infrastructures et au delà des standards, il faudra former le personnel, faire des évaluations des travaux, analyser le comportement des utilisateurs. Et commencer d’abord par regarder ce qui se fait ailleurs, principalement aux pays-bas mais on trouve aussi des choses intéressantes en Suède.

Contrôler l’exécution

Écrire des codes et spécifications n’est d’aucune utilité si on ne s’assure pas de la conformité des réalisations à ces textes. C’est une réalité absolument incontournable de toute forme d’ingénierie. De plus, comme aujourd’hui il y a un problème spécifique de compétence, tout aménagement devrait être soumis à un contrôle de conformité préalable aux travaux ainsi qu’à un contrôle final. Ceci impose la (re)création d’un corps d’inspection (qui a disparu avec la décentralisation de 1983).

L’itinéraire est fini quand il est terminé, pas avant

Un itinéraire ne peut être considéré comme fini que s’il ne manque aucun segment ni aucun aménagement de croisement. Est-ce qu’on considérerait une autoroute comme finie si on devait parcourir un kilomètre dans la boue? Non bien sûr, pour un itinéraire cyclable il doit en être de même, s’il en manque un bout, s’il reste des changements de niveau, des chicanes, s’il manque des entrées ou des sorties, des feux, il n’est pas fini…

Gérer les impondérables

Il peut y avoir des travaux sur les routes, rien de plus normal mais dans ce cas, la continuité de l’itinéraire cyclable doit être assurée, et pas en faisant des détours de plusieurs centaines de mètres voire plusieurs kilomètres comme on le voit parfois. Les gens qui doivent faire des détours sont ceux qui ont un moteur!

Suggestions pour une nomenclature des itinéraires cyclables

Il est indispensable de numéroter les itinéraires cyclables tout comme on numérote les routes pour les voitures. Il faut donc créer un système de nomenclature.
Je propose qu’on utilise un système analogue à celui utilisé pour les routes (qui date de 1824, la première nomenclature ayant été créée en 1811 sous Napoléon).
On pourrait ainsi utiliser pour les itinéraires communaux (par exemple entre une gare et une zone d’activité ou un quartier et un centre ville) la numérotation suivante:

  • CVnn (pour Communale Vélo numéro nn, par exemple la CV06 sur la commune de Larbre sur rivière entre le centre ville et le quartier Bellerive, la CV02 entre la gare et la zone d’activité ‘les noisetiers’, la CV09 entre le pont sur la rivière Aumance et le centre administratif)

Les Intercommunalités étant en développent, un itinéraire intercommunal pourrait être nommé:

  • IVnn pour les voies situées sur une intercommunalité

Et pour les itinéraires départementaux

  • DVnn

On pourrait envisager une ‘NVnn’ pour les voies nationales, mais il n’est pas sûr que ce soit un niveau pertinent pour des itinéraires vélo de transport (mais ça l’est pour des itinéraires de tourisme) et la tendance en France étant au désengagement de l’état au profit des collectivités territoriales même quand ce n’est absolument pas justifié, ça risquerait de tourner court.

Tant qu’a faire un nouveau système, on pourrait faire comme aux états unis ou quand une même voie est utilisée par plusieurs itinéraires, les panneaux de voies référencent tous les itinéraires, c’est très pratique et on se perd beaucoup moins. Par exemple, si l’itinéraire de la CV06 et l’IV12 ont un segment commun, on trouvera les deux références sur ce segment (panneaux superposés).

Projets récents

Vélos et territoires a publié il y a longtemps (en 2014) l’article Le REVe (Réseau Express vélo), un projet de crise qui aborde aussi la manière dont les réseaux sont conçus dans d’autres pays.

Un groupement d’associations d’île de France a proposé fin 2019 le développement d’un réseau cohérent, le RER V(élo) (le RER est le réseau de transport ferroviaire de la région parisienne et l’acronyme a été réutilisé pour marquer les esprits). La définition de ce réseau ne comporte actuellement que des axes principaux de transports mais c’est un progrès substantiel dans l’approche. La pression des associations commence à faire effet et ce projet a été plus ou moins repris par le monde politique. La métropole de Lyon a repris l’idée avec un acronyme simplifié le ‘REV’ (Réseau Express Vélo). Antérieurement au plan Francilien (en 2017), à Grenoble avait été défini le plan Chronovélo. De même, à Rennes on a aussi adopté l’acronyme REV pour un réseau proposé en 2020. A Nantes en février 2021 a été annoncé un Réseau Vélo Express

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(c) Pierre ROUZEAU
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Page mise à jour le 20/10/2021 14:36