Énergie

Edit:08 nov. 2019, Cre:17 avril 2018

Histoire du pic pétrolier

Cet article ne va pas revenir en détail sur le pic pétrolier (le maximum de production avant déclin) qui est décrit en détails ailleurs, mais faire un petit point sur ce qui en a été dit depuis une trentaine d’années.

D’où viennent les énergies fossiles

Les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) sont de la matière organique (des végétaux ou du plancton) qui a subi des transformations géologiques au fil des millénaires. L’énergie qu’on en extrait provient de la photosynthèse depuis les millions d’années qu’existe la vie sur Terre.
En brûlant ces combustibles, on récupère l’énergie solaire qui a servi a la photosynthèse. C’est en pratique de l’énergie solaire différée.

Les énergies fossiles sont donc une ressource limitée qui nécessitera des millions d’années pour se reconstituer.

Comment sont estimés les stocks ?

Les premières tentatives pour estimer les ressources récupérables en pétrole datent des années cinquante et ont théorisé le pic pétrolier, qui est le maximum de production après lequel la production va décliner. Les prévisions sur le pic pétrolier aux USA se sont avérées relativement exactes et le maximum de production aux USA a été passé aux alentours de 1974 après quoi la production a décliné et la principale production s’est alors reportée sur le moyen-orient, particulièrement l’Arabie Saoudite puis s’est étendue a d’autres zones géographiques. Mais ces ressources externes s’épuisent aussi et le pic de production du pétrole ‘conventionnel’ (excluant l’offshore, les sables bitumineux et le pétrole de schiste) a été passé en 2008. Ce pétrole conventionnel représente environ les 3/4 de la production actuelle.

Par contre, certaines prévisions globales sur l’ensemble de la planète se sont avérées assez inexactes et il y a eu des annonces très prématurées sur la survenue du pic pétrolier global. Les premières annonces du pic pétrolier l’avaient positionné il y a vingt ans et la production a cependant continué d’augmenter régulièrement.

Malheureusement, ces annonces prématurées ont conduit un certain nombre de personnes a conclure que les limites annoncées sur le pétrole étaient surtout diffusées par des comploteurs/paranoiaques/écologistes/emmerdeurs qui voulaient juste empêcher le monde capitaliste de se développer et de gaspiller en paix et voulaient détruire le mode de vie occidental. Ceci alors même que les compagnies pétrolières reconnaissent depuis longtemps le phénomène et que les analyses de l’évolution de la production sont une part essentielle de leur métier.

Qu’est-ce qui s’est passé?

  • Il y a eu de grosses sous-estimations des réserves des pays de l’ex bloc soviétique
  • Les techniques d’extraction se sont améliorées et le pourcentage de pétrole qu’on peut extraire d’un champ connu est plus élevé. C’est notamment pour cette raison que l’Arabie saoudite continue d’extraire d’importantes quantités de pétrole de champs relativement anciens. Les réserves n’ont pas augmenté, mais on a amélioré le pourcentage de récupération.
  • Une nouvelle technique, le ‘fracking’ a permis d’extraire du pétrole et du gaz de réserves de schistes. Ces réserves étaient connues, mais on ne savait pas les exploiter. Cette technique polluante est simple et elle a connu un développement fulgurant, notamment du fait d’une absence quasi totale de règlementation dans certains états américains. Absolument personne ne l’avait prévu et elle ne faisait l’objet d’aucun plan. Elle a permis un sursaut économique des USA (leur production est passée de 25% a 50% de leur besoins) et a repoussé la date du pic pétrolier de quelques années. Elle représente environ 5% de la production mondiale mais va s’accroitre significativement. Les réserves accessibles par ‘fracking’ tight oil ou pétrole de roche-mère ne sont exploitées qu’aux états-unis car cette exploitation n’est pas actuellement rentable. Cependant, il existe d’importantes réserves en dehors des USA (qui ne détiennent que moins d’un quart des réserves exploitables connues). Les réserves connues (~340 milliards de barils) représentent environ 10 ans de consommation au régime actuel, mais il y aura de nouvelles découvertes et on aura donc sensiblement plus que dix ans de ‘sursis’.
  • Le prix d’extraction des sables bitumineux (ne pas confondre avec les schistes bitumineux du paragraphe précédent) a beaucoup baissé.
  • Beaucoup de pays mentent sur leur réserves, particulièrement les pays de l’OPEP, car les quotas de production au sein de l’OPEP (pour contrôler les prix) sont alloués en fonction des réserves. La difficulté est d’estimer la grosseur du mensonge et on a pu considérer comme mensonger ce qui était parfois un peu vrai… La très grosse majorité des réserves appartient aux états, une minorité est aux mains des compagnies pétrolières, ce qui favorise les manipulations de chiffres pour des raisons politiques.

Tout ceci a contribué a repousser l’échéance et a la cacher un peu. Ça a surtout apporté de l’eau au moulin de ceux qui disent “oui mais ça fait vingt ans qu’on nous annonce la pénurie”, sous-entendant que cette pénurie ne viendra jamais.
On distingue souvent le pétrole ‘conventionnel’ du pétrole non conventionnel, ce dernier regroupant l’offshore, l’extraction profonde, les sables et schistes bitumineux et la production d’essence à partir du charbon ou du gaz.
Or malgré les améliorations des taux d’extraction le pic pétrolier du pétrole ‘conventionnel’ a déjà été passé au début des années 2010, l’augmentation de production actuelle n’étant due qu’aux nouvelles techniques, car les réserves connues n’ont pas évolué significativement.

Les réserves connues et les réserves futures

Il y a des découvertes en permanence et ceci conduit certains a penser que l’on a affaire à un système qui s’étend indéfiniment. Cependant la baisse est inéluctable. En faisant des statistiques sur les découvertes on a pu établir que le ‘pic des découvertes’ a été passé dans les années 60. Un autre chiffre important est le taux de découverte, qui représente la quantité de pétrole découverte à un moment donné par rapport à la consommation au même moment. En 2017, le taux de découverte était de 20% de la consommation, la quantité de découvertes étant la plus basse depuis les années 40. L’analyse des découvertes permet de faire de la prospective sur les réserves futures bien que comme tout domaine de prévision, les analyses soient toujours très disputées.

Et maintenant?

En moyenne, les estimations actuelles situent le pic pétrolier quelque part au milieu des années 2020. La baisse du prix du pétrole notamment liée a la production issue des sables bitumineux, du pétrole de schiste et a un nouveau boom sur le charbon a réduit les investissements dans le pétrole ce qui devrait entraîner une nouvelle crise et une augmentation du prix. Cependant, cette frénésie nord-américaine d’extraction du pétrole de roche-mère (pétrole de schiste) “Drill, baby, drill” a compensé ces baisses d’investissements sur le pétrole ‘traditionnel’ et les USA vont redevenir le premier pays producteur de pétrole devant la Russie, tout en étant très loin d’être autosuffisants (Production ~10 millions de barils par jour, consommation: 20 sur un total mondial de 99).
Mais le pic pétrolier n’est pas un problème en soi. Ce qui pose problème, c’est si la demande excède la production. La consommation des pays occidentaux a baissé du fait des économies d’énergie et de la désindustrialisation. Mais l’industrie continue de consommer ailleurs, et souvent avec un plus mauvais rendement. La croissance très importante de l’Inde et de la Chine, ainsi que la croissance plus modeste mais réelle des autres pays dits ‘en développement’ conduit a une augmentation de consommation qui a terme n’est pas soutenable.
En France, la production de CO2 importée (via les biens achetés) est supérieure à la production interne.

Les plus grosses réserves de pétrole actuelles sont au Vénézuela, mal exploitées aujourd’hui pour des raisons politiques (pas d’investissements et des problèmes de compétence locale), suivies par l’Arabie Saoudite.

Que va t’il se passer ?

La seule chose certaine, c’est qu’une ressource convoitée fait l’objet de conflits, c’est systématique dans l’histoire humaine. Il reste beaucoup de pétrole extractible, a peu près autant que ce qui a déjà été consommé, mais les utilisateurs sont beaucoup plus nombreux (1950: 2.5 milliards habitants, 2010: 6.9 milliards, 2040:8.5~9.8 Milliards) et s’il y a beaucoup d’incertitudes, les guerres a venir pour les ressources (pas seulement le pétrole) sont inévitables. Se préparer pour une vie avec des ressources plus limitées, c’est d’abord essayer de repousser les conflits à venir. Le problème, c’est qu’il est probable qu’une réduction de l’utilisation des ressources entraîne une crise économique majeure.
L’attitude des politiques dans la gestion de la crise des ressources a venir, qui consiste fondamentalement a se payer de mots et a l’ignorer pour essayer de maintenir une croissance minimale, va simplement conduire a aggraver la brutalité du choc.
A la décharge des politiques, une grande partie de la population refuse d’accepter ce futur et les mouvements contre la taxe carbone sont assez représentatifs de cet aveuglement volontaire.
Plusieurs millénaires de croissance ne nous ont pas vraiment préparés a une certaine forme d’austérité future, qui heurte la culture générale (y compris la mienne).

Quelle est l’échéance ?

Le développement du pétrole de schiste aux états-unis a créé un sursis au pic pétrolier. Ce sursis est de l’ordre de cinq ans si on utilise les ressources en pétrole de schiste des USA, mais il y a aussi du pétrole de schiste, notamment en Russie qui ne sont pas encore exploitées.
Pour beaucoup, l’effet psychologique de ce sursis a donné l’impression que le problème avait disparu. Ce n’est évidemment pas le cas et l’échéance se rapproche. Les dernières estimations de l’EIA indiquent qu’on devrait commencer à avoir des contraintes d’approvisionnement en pétrole à partir de 2025. La chute ne sera pas brutale, la production devrait entrer dans un plateau, mais malgré les discours, notre monde ne s’est absolument pas préparé et ne se prépare pas du tout à cette échéance, ce qui va en rendre l’impact violent et devrait probablement se traduire par une crise financière. A ceci, il faut ajouter que les pétroliers américains qui produisent du pétrole et du gaz de schiste n’ont jamais gagné d’argent mais ils bénéficient d’injection de capitaux continues qui leur permettent de se développer. A ce titre, ils constituent une bulle spéculative qui lors de son éclatement pourrait être à l’origine d’une crise financière.

(c) Pierre ROUZEAU
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Page mise à jour le 08/11/2019 12:29